mercredi 5 mars 2014

Méduse (Sylvia Plath)


Odilon Redon, Chaudron de la sorcière, 1879


Loin de cette langue de terre obstruée de cailloux,
Tournant de l’œil à la vue des cannes blanches,
Recueillant l’incohérence de l’océan au creux de l’oreille,
Tu héberges le trouble en ta tête – sphère divine,
Cristallin charitable,

Pendant que tes doublures
S’accrochent frénétiquement à l’ombre de ma coque,
Pressantes comme des cœurs,
Stigmates rouges en plein centre,
Et chevauchent les flots déchirés jusqu’au plus près du point de départ,

Laissant flotter leur chevelure de Sauveur.
Me suis-je vraiment tirée d’affaire ?
Le fil de ma pensée s’entortille autour de toi,
Vieil ombilic ventouse, câble transatlantique,
Et mon esprit se préserve, il semblerait, par pur miracle.

En tout cas, tu es toujours là,
Souffle fébrile au bout de ma ligne,
Rondeur aqueuse qui se précipite,
Ravie, reconnaissante, sur la perche que je n’ai pas tendue,
Et tu touches et tu suces.

Je ne t’ai pas appelée.
Je ne t’ai même jamais sonnée du tout.
Pourtant, pourtant,
Tu t’es lancée sur moi à toute vapeur,
Avec ton rouge gluant, placenta

Paralysant les ardeurs des amants.
Cobra illuminé
Du souffle arraché aux cloches sanglantes
Des fuchsias. Je ne respirais plus,
Morte, fauchée.

Surexposée comme un rayon X.
Pour qui donc te prends-tu ?
Une hostie, une ortie, une adipeuse Marie ?
Tu ne me feras plus rien avaler,
Bouteille dans quoi je vis,

Vatican de malheur.
Ce bain chaud salé me rend malade à crever.
Tes désirs verts comme des eunuques
Sifflent mes péchés.
De l’air, va-t-en, tu poisses, tentacule !

Il n’y a rien entre nous.


Odilon Redon, La mort verte, 1905


 © Sylvia Plath

(in Ariel, p. 54-55)


Sylvia Plath avec ses deux enfants, Nicolas et Frieda, en 1963

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