dimanche 4 mai 2014

Poésie de l'inquiétude



Les Poèmes de Paul Gadenne charrient des images d'une grande force alliées à des doutes métaphysiques extrêmement profonds.

Qu’on se le dise : un poète, s'il veut faire œuvre, n'est pas là pour rassurer son lecteur.

En ce sens, la poésie de Paul Gadenne est tout autant source de beauté que d'effroi.

Ses romans sont comme un écho de ses poèmes : il y proclame la même angoisse métaphysique et ce sentiment d’étrangeté face à un monde et des êtres qui lui échappent par tous les bouts.

Gadenne était croyant mais n’allez pas croire que cela le tranquillisait pour autant. Il est tant de personnes qui pensent, à tort, qu’un croyant est un être qui n’est plus taraudé par aucun doute. Que l’on se détrompe sur ce point.

Paul Gadenne a vu la mort de près suffisamment jeune pour ne pas oublier qu’en ce monde rien n’est acquis ni à quel point la destruction rôde en nous comme un infatigable gardien.

Ce prélude de mort est sorti de son souffle comme un cachet de cire rouge apposé à son être le plus intime : en langage plus commun, cela se nomme la tuberculose.

On ne peut s'aventurer dans l’œuvre poétique de l’auteur de La plage de Scheveningen en sifflotant, les mains dans les poches et la conscience béate.

Certains vers semblent s’accrocher à nous comme de la résine et l’on ne peut plus s’en défaire : ça colle aux yeux et à l’esprit ; ça vous encercle l’âme et reste fiché dans votre mémoire comme un couteau.

La beauté, ce n’est pas commun. Ce n’est pas comme le langage de tous les jours. On n’y est pas habitué.

Il est une phrase de Charles Péguy que j'admire, issue de Victor-Marie, comte Hugo, et qui me semble parfaitement faire corps avec l'art poétique de Gadenne :

« Un mot n’est pas le même dans un écrivain et dans un autre. L’un se l’arrache du ventre. L’autre le tire de la poche de son pardessus. »

Nul besoin de préciser que Paul Gadenne fait partie de la première sorte d’écrivain dont parle Péguy.

Je pense également à une autre phrase d’un écrivain incandescent, François Augiéras, qui a ces mots de feu dans Le Voyage des morts :

« Est grand poète celui-là seul qui, s’éveillant en pleine nuit, peut s’écrier : – Je ne rêve pas, ma vie est en accord avec mon âme. Sur quoi, il peut fermer les yeux ; il est vainqueur. »

Pour se faire une idée de la poésie “intranquille” de Paul Gadenne, quoi de mieux que d’offrir à la lecture l’un de ses poèmes, intitulé Entre mes deux épaules :

« Entre mes deux épaules elle a planté sa voix
Puis s’est enfuie dans la nuit.
Tous les méchants font ainsi.
Où est-elle ?
Un train appelle
Un autre qui le suit.
Elle n’a plus de visage
Ses yeux se sont éteints pour moi.
Le train court il appelle
Où est-elle où est-elle
Dans le battement de mon sang
Dans le milieu de mes yeux
Entre mes vastes mains
Je cherche c’est en vain
Entre mes deux épaules elle a planté sa voix
Un jour sa voix reprendra vie
Et je tomberai transpercé. »

Après ces mots, le silence seul serait de mise.

Je ne puis cependant m’empêcher d’ajouter en écho ceci : la voix de Paul Gadenne s’est plantée en moi pour n’en plus jamais ressortir.

Lorsqu’elle ne résonnera plus en moi, c’est que je serais mort.


Léon Spilliaert, Vertigo, 1908

 © Thibault Marconnet

14/12/2013

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