mardi 26 août 2014

"Le XIXe siècle à travers les âges" de Philippe Muray (Extraits)



« C’est à travers la référence au nom de Joachim de Flore que le 19e va s’ouvrir comme un vaste concours : à celui qui l’écrira, cet évangile éternel ! Seule rivalité littéraire au fond véritable. Qui rédigera le vrai dictionnaire médical ? Hugo avec Dieu, La Fin de Satan, Les Misérables ? En tout cas, il semble bien placé. Sand avec son manuscrit de Spiridion trouvé dans un sarcophage ? Eugène Sue et ses Mystères du peuple ? Auguste Comte ? Quinet ? Michelet ? Lui, il tente le coup de force en 1864 avec La Bible de l’Humanité. Et Zola trente-cinq ans plus tard qui commence les Quatre Evangiles ! Et Nietzsche avec Zarathoustra qu’il présente en 1883 à l’éditeur Schmeitzner comme le “cinquième évangile” manquant ! La vingt-cinquième image fantôme. La Bible fantôme du genre humain… L’inspiration biblique, dans le style, réduite au principe de la répétition. Dès qu’ils se sentent patriarches, ils prennent le ton psalmodiant. Monotones vaisseaux du désert. Bosses oscillantes des dunes. Sagesse venues des millénaires… Le figement lancinant du rythme et la perte de toute fantaisie commencent par là, dans le plagiat du style biblique. Dans la volonté médicale de faire l’évangile éternel. L’évangile sans foi ni lieu, sans feu ni loi, la parure de l’effondrement du rien. Evangile des interdits disparus. De l’ennui des jours sans interdits. Allez et enseignez toutes les nations… Ils partent. Ils doivent. Ils vont écrire. Ils sont missionnés, Dieu le veut… » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 90)

« Dans l’état où il (l’homme) est réduit, il n’a pas même le triste bonheur de s’ignorer : il faut qu’il se contemple sans cesse, et il ne peut se contempler sans rougir ; sa grandeur même l’humilie, puisque ses lumières, qui l’élèvent jusqu’à l’ange, ne servent qu’à lui montrer dans lui des penchants abominables qui le dégradent jusqu’à la brute. Il cherche dans le fond de son être quelque partie saine sans pouvoir la trouver : le mal a tout souillé, et l’homme entier n’est qu’une maladie. » Joseph de Maistre (in Les Soirées de Saint-Pétersbourg, cité par Philippe Muray)

« Voilà le cas de Claudel : des pièces encore vaguement jouées, une poésie oubliée, des essais sur l’art étourdissants mais pratiquement jamais pris en compte, et surtout quinze livres exégétiques admirables. Quinze méditations bibliques à même l’hébreu du fond du Livre et ce latin cardé et recardé par sa vieille main incapable de trembler aussi bien dans la glorification liturgique que dans la supplication chancelante. Et pour salaire de ce travail, tous contre lui en même temps. Tous ! Tous les héritiers des familles du 19e menacées dans leur héritage : rationalistes rescapés, positivistes nostradamiques, surréalistes gymnosophistes, vicaires du rituel de la table rase de sacrifices, libres penseurs congestionnés, techniciens de la forme et de la langue, scientistes justiciers, curés défroqués, militants de la foi universelle, fakirs du cosmos-cathédrale et des maisons pour le peuple. Tous. Tous procureurs parce qu’associés. Tous associés parce que procureurs. Et tous exaspérés parce qu’après tout il reste quand même un doute. C’est peut-être eux, en fin de compte, qui ne sont pas tout à fait à l’échelle. Qui ne sont pas à la hauteur du monde pour lequel ils militent parce qu’ils y appartiennent trop. Et que lui, Claudel, il est peut-être celui qui les voit, qui les comprend, qui les décrit. Leur historien en quelque sorte. Et à force de s’époumoner contre lui, ils ont fini par se ressembler. En le rendant, lui, encore plus différent et plus unique que ce qu’ils imaginaient. Et eux encore plus collectifs, encore plus tas, plus stéréotype massif. C’est par là d’ailleurs que l’on pourrait se rendre compte aujourd’hui qu’il a quand même fini par gagner. Par cette furie et cette hargne qui les a égalisés contre lui. Eux si différents entre eux, que de vrais abîmes séparent, Breton, Artaud, Bernanos, il arrive un moment fugitif où soudain ils se ressemblent : cet instant où ils se jettent sur Claudel, où ils l’accusent, le traînent à la barre. Où ils obligent en somme leur adversaire à triompher contre eux. Une œuvre d’art réussie est aussi le total de tous les procès d’égalisation que l’on mène contre elle.
Un dépassement est datable lorsque, par rapport à tel ou tel événement, tout ce qui l’entoure ou le précède se met brusquement à se ressembler. Une singularité absolue qui rend sosies les singularités relatives. Le principe du sosie fonde la société en même temps qu’il en rend les membres enragés. Une société est composée de sosies à qui ça ne fait aucun plaisir d’être sosies. Il s’agit donc de montrer comment Claudel les a tous rendus semblables, au point de se faire ignorer si profondément et continûment que l’on pourrait à son propos parler sans exagérer de chef-d’œuvre jusqu’à nos jours inconnus. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 103-104)

« Le baptême est la manière pas bête du tout qu’avait trouvée l’Eglise de désigner tout de suite au petit bonhomme, à travers ses parents, sa boiterie fondamentale. Pour qu’il ne perde pas trop son temps ensuite à se croire enfant trouvé. Donc à imaginer aussi que tout le genre humain l’attendait de pied ferme pour modifier les données de la société, faire table rase du passé et proposer un nouvel idéal de vie collective harmonieuse… On sait ce qui choque le plus la raison, dans cette affaire de baptême : c’est qu’il s’agit d’un sacrement administré alors que vous ne pouvez pas le refuser. Comme si on vous disait qu’au fond ça ne vous regarde pas. Humiliation, révolte, colère. On n’a pas le droit de violer les âmes ! De mépriser notre libre arbitre ! Baptême peut-être, si on y tient, mais pas avant l’âge de raison. Alors que le baptême était là pour dire qu’il valait mieux prendre les devants. Que l’âge de raison n’était jamais qu’une hypothèse. Qu’ils y avaient tant d’enfants qui restaient pour toujours des enfants… » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 184)

« Les ambitions syncrétistes, dit Chesterton, consistent à vouloir “réunir ce qu’il y a de beau dans toutes les croyances, mais elles semblent avoir rassemblé tout ce qu’il y a en elles de plus ennuyeux. Toutes les couleurs mélangées devraient, si elles étaient pures, donner un blanc parfait. Mélangées sur n’importe quelle palette humaine, elles donnent quelque chose comme de la boue, quelque chose de très semblable à beaucoup de ces religions humaines”. “Ce défaut naît de la difficulté de distinguer ce qui est réellement mauvais dans une religion donnée. Ce dilemme pèse lourdement surtout sur ceux qui ont le malheur de penser que dans une religion quelconque les parties généralement tenues pour bonnes sont mauvaises et que les parties généralement tenues pour mauvaises sont bonnes.” » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 186)

« On a des devins quand on n’a plus de prophètes, des sortilèges quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l’on ouvre les antres des sorciers quand on ferme les temples du Seigneur. » François-René de Chateaubriand (in Génie du christianisme, cité par Philippe Muray)

« Qu’est-ce que c’est, le scandale de fond des religions du passé ? Un Dieu, un seul, qu’on l’appelle Allah ou Yahvé, qui s’adresse à un seul homme, Moïse ou Mohammed, au mépris de tous les autres. Ou pis encore : qui se parle à lui-même (Jésus). Qu’est-ce que c’est, le progrès social du spiritisme ? Tout le monde a le droit à une communication personnelle. Des âmes des morts, simples gens disparus, aux vivants, simples gens en disparition. Printemps des masses et des télécommunications. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 194-195)

« Personne n’a envie de disparaître. Ça se comprend, c’est humain. Ni, côté théorie, dans les morts philosophiques de l’homme ou les histoires du sujet divisé ; ni, côté bien plus concret, dans la masse rayons X, les collectivités sondées, le manteau d’Arlequin des foules, l’anonymat des statistiques. D’où le besoin de plus en plus pressant, pathétique, de communication universelle. Effusion sociale générale. Transmission de personne à personne, c’est la définition de la télépathie. Qui n’est pas près de finir. Elle ne fait même que commencer. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 197)

« L’occultisme devient scientifique en même temps que le socialisme. Et dans les mêmes proportions. On tripote beaucoup le spiritisme dans les milieux révolutionnaires. Jusqu’à Lénine qui pratique les tables tournantes durant son exil à Paris. Jusqu’aux guérisseuses géorgiennes des vieillards moribonds du Kremlin. Si on se décide à faire l’expérience de ne pas prendre a priori l’anecdote occultiste pour un fatras de délires imbéciles, si on renonce au moins un temps à penser qu’il s’agit de régressions, si on se décide bien plutôt à traiter ça comme des informations tordues sur la marche silencieuse au progrès, on comprend les raisons de ces naissances communes, de ces développements parallèles, de ces rencontres plus ou moins discrètes et de ces croisements au fond des courants. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 199-200)

« Comprendre les structures des sectes : première condition pour comprendre les structures des masses et le phénomène totalitaire. Contrairement à ce qu’on raconte pour faire surnager autant que possible l’idée que les régimes socialistes auraient trahi leur programme primitif pour verser dans une sorte de religion d’Etat terroriste, il ne s’agit pas de science finissant par se métamorphoser au terme d’une série d’erreurs et de déviations en religion, mais bien d’une religion au commencement et de la même à la fin. Projet occulto-policier en amont ; régime policier-occulte en aval. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 200)

« En tout cas, au milieu de l’évangélisme ambiant, du nouveau christianisme libérateur, il (Baudelaire) sait exactement, lui, la raison, la seule et unique, pour laquelle, de temps en temps, en fonction d’humeurs personnelles et de données biographiques particulières, on peut trouver la révolution délectable. Il ne le dit à personne, il l’écrit pour lui : la révolution c’est Satan. C’est le “goût de la destruction” qui submerge. Le vieux Prince du Monde qui se met à inscrire ses lois directement à même le monde. Un goût, exactement, un style. Une préférence de l’instant. “Goût légitime si tout ce qui est naturel est légitime.” Satan-naturel ? Satan-nature ? Voilà de quoi faire s’entrechoquer les bénitiers occulto-socialistes. L’inamnistiable Nature… Qu’ils veulent pourtant tous consacrer, asperger, sanctifier, sauver. Rappeler d’exil. Réintégrer dans le clan pour l’offrir en invitée surprise à la maîtresse de maison, la “Femme-Messie”, la Dieue, la Goddess, la Divine Matter-Substance. Ou Dieux (Père-Mère). Ou Dieu-Demain. Enfin, l’un de ces innombrables nouveaux noms divins auxquels la tradition hébraïque a eu le tort immense de ne pas penser. Les nouveaux mots de la tribu. Sa nouvelle légitimité. Baudelaire, comme on sait et comme on ne le lui a pas pardonné, a ensuite choisi définitivement l’illégitimité. L’enfer, l’éternité des peines, le péché aux origines. La “pure doctrine catholique” contre la doctrine séraphique. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 205-206)

« Mais d’abord maintenant, ici même, où en sommes-nous exactement ? Comment en sommes-nous arrivés à ce monde-ci d’après le monde, ce 19e d’après le 20e, plus vrai, plus réel que le 20e ? Un post-monde devenu arrière-monde ? Les événements terminés avant d’être arrivés, roulant à l’intérieur d’eux-mêmes toutes les utopies de post qu’on voudra, postidées et postsocial, postféminismes, postromantismes, postoccultismes, post-avant-gardes, postmodernité, postprogressisme. Postmortem et postface. Avec cette bizarre impression d’une postsynchronisation générale et légèrement ratée, décalée. Un doublage mal ajusté des corps aux voix, des voix aux bouches en mouvement, des bouches à l’intérieur des têtes et des têtes aux réflexes qui les traversent, aux sensations, aux affects, aux proclamations, aux prises de position, aux confidences en tête à tête derrière ces prises de position. Inutile d’en dire plus là-dessus. Jour par jour les médias diffusent pour détailler le phénomène, rappeler que nous ne sommes plus que l’addition statistique mobile d’opinions personnelles imperceptibles. Un ensemble d’intentions de vote déjà connues et avalées bien avant le jour de scrutin. Les fantômes de nous-mêmes ont une formidable longueur d’avance sur nous à présent. Notre armée de spectres, de simulacres, de doubles, de simulations de sondage ; avec la batterie de mesures préventives, de protections et sécurités qui nous précèdent désormais. Le projectile humain a des difficultés avec les frottements de l’air, les résistances, il est moins rapide que le fantôme, c’est bien normal. Nos doubles vivent nos aventures. Difficile de les rattraper. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 228-229)

« Occulte pour cacher le socialisme. Socialisme pour cacher l’occulte. Mais occulte pour cacher que le socialisme n’est qu’un mot advenu pour cacher la fin de tout social. Et socialisme pour cacher que l’occulte est un mot pour aider à croire que quelque chose est encore caché. Vides se camouflant mutuellement. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 229) 

« En ces temps lointains où de grands esprits étaient persuadés que les comètes et la lune, le soleil et les étoiles exerçaient leur influence sur les êtres à la manière dont le beau temps ou la pluie règlent le destin des récoltes, on était déjà en route, encore maladroitement certes, encore bien silencieusement, vers l’affirmation de cette chose capitale, inséparable de tout progressisme, qui consiste à vouloir absolument que l’histoire de la petite famille humaine ait un sens et même une valeur, et même peut-être une beauté. En elle-même et pas au-delà. Dans sa propre finitude. Le reste, l’existence de la société et les conséquences de cette existence, les déterminations de classe, les injustices à liquider, les inégalités, l’influence des rapports de force économiques, tout cela est d’invention plus récente que l’illusion d’influence de la voûte céleste sur le genre humain. Du point de vue de la structure pourtant c’est exactement la même chose. Le délire astrologique annonce le culte sociolâtrique. Pour parler comme Auguste Comte qui avait d’ailleurs également une ère astrolâtrique. Il imaginait que les âges théologique, métaphysique et positiviste étaient en succession, sur une ligne rigoureusement droite. Que l’arrivée de l’un chassait l’autre. Il aurait eu énormément de mal à imaginer qu’ils pouvaient aussi bien coexister, rentrés télescopiquement en un seul homme, un seul cerveau, un seul drame de nerfs et d’organes sous une seule identité : la sienne, par exemple. Le culte sociolâtrique général, naturel – sans comtisme – revient à faire exister quelque chose qui n’existe pas forcément mais à quoi tout le monde se sent tout de même forcé de croire par solidarité, par solitude, par vanité un peu aussi, et qui est la société. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 237-238) 

« En tout cas, personne n’ignore plus combien les socialismes ont toujours des embêtements avec la réalité qu’ils entreprennent de corriger. L’obstination des faits économiques. Les mauvaises habitudes de la nature humaine vicieuse. Les goûts dépravés individualistes. Les égoïsmes, les cynismes. L’amour de l’argent pour lui-même. Que voulez-vous, c’est toujours la même affaire dès qu’une religion vraie se mêle de vouloir rétablir la vérité chez les vivants. Les socialismes ont des difficultés avec les faits. Ils s’énervent d’être contredits. Ils finissent par conspirer contre ces faits. Comme disait fort précisément Proust : “Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances.” Oui, mais quand nos croyances veulent faire leur percée dans le monde criblé par les faits ? » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 239) 

« On sait ce que disait Bebel, parlant du socialiste antisémite Toussenel : l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles… Délicat pour Marx, non ? Inutile de s’étonner que tout le monde achoppe sur cette question du socialisme dans ses rapports à l’antisémitisme. Tant que l’on n’aura pas vraiment admis que l’universel désir d’Harmonie, de fusion obligatoire des jouissances égalisées, entraîne obligatoirement la folie de liquidation d’un seul ou de quelques-uns, on n’aura pas beaucoup avancé du coté des véritables Lumières… L’antisémitisme de Marx est bien connu, mais celui de Jaurès ? Qui a jamais lu cet article du moins doctrinaire, du plus humanitaire, du plus généreux et du plus panthéonisé des progressistes français (ce texte date de 1895, Dreyfus a été condamné l’année précédente à la détention perpétuelle, Jaurès dans La Dépêche de Toulouse commente en ces termes une récente explosion antisémite des colons français en Algérie) : “Sous la forme un peu étroite de l’antisémitisme se propageait en Algérie un véritable esprit révolutionnaire”, commence-t-il. Un peu étroite ? Oui, vous avez bien lu. Mais voici la suite : “Pourquoi n’y a-t-il pas eu en Algérie un mouvement antijuif sérieux tant que les Juifs appliquaient, surtout au peuple arabe, leurs procédés d’extorsion et d’expropriation ?” Jaurès ne reproche pas aux colons leur antisémitisme, il le trouve simplement trop égoïste, narcissique, trop étroit comme il dit, pas assez universalisé… On croit chaque jour avoir tout lu sur le sujet, ne plus rien avoir à apprendre. On n’en finira pas, en réalité. On n’en finira jamais. On n’explorera jamais assez les tripes puantes de l’antisémitisme, son mystère d’infamie sans mesure. La bonne conscience générale en a fait une passion “de droite” pour bloquer l’enquête. C’est vrai, mais bien entendu à cinquante pour cent. L’antisémitisme “de gauche”, lui, reste encore dans le brouillard. Archives planquées, illusions. La férocité antijuive inouïe de Luther commence à peine à émerger. “Luther inspirateur de Hitler” est une formule qui va sûrement mettre encore beaucoup de temps à être digérée. “Luther influenceur du socialisme” rencontre encore plus de résistances. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 252) 

« L’Eglise qui a longtemps résisté à la croyance populaire au diable (résistance bien entendu ignorée de tout le monde puisqu’il fallait au 19e faire de Satan la victime type de l’Eglise oppressive en le réhabilitant pour mettre en relief l’oppression catholique) a fini par céder. Le diable devenu une personne s’est vite confondu avec le “Juif”. Lequel, cornu, poilu, doué de la supervirilité dont se sentaient privés les mâles ou alors affligé de menstrues interminables où se projetaient les désirs masculins de devenir des femmes cornues et poilues, a vite été gratifié de tous les talents du démon. Sorcier en chef, magicien noir. Maître des illusions, c’est-à-dire des armées du sous-monde occulte. Circonciseur-castrateur de l’Esprit et en même temps esclave de la Lettre. Prestidigitateur des signifiants. Bref, Prince de ce monde. Donc des simulacres et des semblants. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 255) 

« Ah, cet argent qui enfin au 19e devient l’homonyme de Dieu puisqu’il n’y a plus de Dieu. Qui remplit, avec cette différenciation hallucinatoire qu’il établit entre les hommes, la place laissée vide par le droit divin aboli des rois. Qui est la forme nouvelle de la transcendance, plus cachée, plus alarmante et tourmentante, plus affolante que le vieux Dieu imprononçable et irreprésentable des Juifs ou des chrétiens… Point d’épouvante et d’angoisse de la religion du progrès. Point de mire de la haine sociale qui se convertit en une furieuse passion catéchuménique dirigée vers celui qui apparaît homonyme de cet argent fuyant : le Juif. Les religions en expansion font presque toujours du prosélytisme. La croyance occulto-sociale du 19e se consacre immédiatement à la conversion de l’infidèle… Avec toute la rage d’anéantissement que cela suppose. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 255-256) 

« Mais voilà maintenant le retournement, le coup de bourse fumant du siècle. L’opération de spéculation géniale dans un marché encore hésitant soumis à des fluctuations confuses, des timidités d’un autre age. Brusquement le Juif errant, jusque-là socialistiquement et occultement mis en accusation, condensation de nos deux superphobies, l’occulte et la sociale, obstacle à notre passion de l’Harmonie qui n’est que la face maternellement souriante de notre pulsion de meurtre contre le dysharmonique et la dissonance, le Juif errant donc est renversé en positivité. Remis sur ses pieds. Convaincu de collaborer à ce qui doit le supprimer. Lui, son errance et son malheur, mais aussi sa religion, sa langue, ses livres et sa pensée si discordante… Dans ce coup de théâtre ou cette rafle enthousiaste, quelques femmes sont les premières à l’assaut. Des féministes de l’époque. A elles revient l’honneur de ramener l’errance à sa source naturelle, c’est-à-dire à la Nature elle-même qu’elles ne peuvent pas ne pas être. La Tribune des femmes en 1834 commente ainsi l’épopée de Quinet : Ahasvérus est à la fois le symbole du prolétaire et de la femme, “et il faut pour les racheter tous deux un nouveau messie, qui ne soit plus un messie mâle et tout spirituel”… Senta dans Le Vaisseau fantôme sauvant son Hollandais par sa fidélité ! Oreille de Wagner qui pointe. Plus de Juifs, c’est-à-dire plus d’individus, plus d’élus, plus d’exceptions, plus de particuliers. A la place évidemment des catégories, des groupes, des classes, des sexes. Retour des universaux victorieux ; ils avaient été vidés de toute réalité, crevés comme des bulles au 14e siècle par Guillaume d’Occam ; ils reviennent cinq siècles après pour prendre leur revanche. Triomphe des abstractions. Début de la dictature des ensembles. Toutes les religions ont la meme origine et nous sommes tous frères et sœurs. Le cri occulte et le cri social. Où on reconnaît aisément la source d’un conflit qui n’en finira jamais. Bonne volonté ou pas, le socialisme universaliste qui veut la libération générale rencontre nécessairement son impasse en butant contre les Juifs à qui il lui faut imposer de force cette libération. Comme il se trouve que des Juifs ont abandonné au socialisme quelques principes dont celui-ci s’est nourri et comme d’autre part le sionisme en s’inspirant du socialisme s’est débarrassé du programme universaliste de celui-ci, il est presque fatal que le socialisme soit amené à vouloir réduire le particularisme juif au nom de l’intérêt général. On connaît le déroulement du feuilleton jusqu’à nos jours : de la situation des Juifs dans l’Empire soviétique de la libération décapante intégrale, aux comparaisons élégantes avec la Wehrmacht qui sautent à l’esprit de tout un chacun actuellement dès qu’apparaît à l’horizon le premier soupçon de tourelle de char israélien… » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 258) 

« Le protestantisme est un progressisme émancipateur. Sa suppression du Purgatoire (s’il n’y a pas de Purgatoire, c’est que les défunts vont tout de suite au Paradis ou en Enfer, je ne suis pas obligé de prier pour eux et pour leur délivrance, ils n’ont donc pas besoin de moi et c’est moi bien entendu qui vais avoir besoin d’eux comme informateurs) ouvre la voie sans s’en douter aux nécromances modernes. À l’écoute obsédée des cadavres. À l’oreille tendue vers les messages de la Thanatosphère. À la demande infinie d’analyse. Pendant des centaines d’années on a parlé à Dieu et Dieu tout compte fait est resté assez remarquablement muet malgré de notables exceptions. À l’inverse, l’avantage de la nécromance c’est que les morts y sont bavards. Babillards, généreux, profus. Parfois capricieux, certes, boudeurs, silencieux pendant des tas de séances, susceptibles, énigmatiques. Mais la plupart du temps éloquents. Souffleurs ventriloques. Multiples. En légion. D’une énergie subjuguante. Ils tiennent vraiment la longueur. En quelques années de nécromance dixneuviémiste, ils en diront plus, infiniment, que Yahvé dans tous les siècles de la Bible. Il suffisait de demander en somme. Des signes. De coller son oreille et puis sa bouche contre la porte des tombeaux. De passer la tête dans le trou noir humide, la Bouche d’Ombre excitante. Un style s’élabore. Le style dixneuvième. Le style c’est l’homme ? Non, c’est le mort auquel on s’adresse. Discours de revenant adressé à quelqu’un qui n’est rien d’autre que le lieu de retour de ce discours. Imaginez cette boucle d’écrans, ce vertige d’images : une caméra filmant un écran de télévision où passe en même temps la cassette vidéo de ce que la caméra est en train de filmer… Eternel retour électronique ! Non, décidément, sans religion des cadavres il n’y a pas de progrès. Le néoplasme, voilà le vrai nouvel ectoplasme. Néoplasme est un mot qu’emploie Freud en 1899 dans une lettre à Fliess où il se qualifie de revenant. Synonyme, dit-il, de cancer. Tout revenant est un cancer qui a remplacé le tissu sain. Un carcinome. Rien ne peut plus y adhérer, on ne fait pas une greffe sur un cancer. “Il n’y a que des revenants, tous ceux que nous avons perdus reviennent.” Stade ultime du magnétiseur exposé magnifiquement dans la nouvelle de Poe dont j’ai déjà parlé, où le moribond galvanisé est transformé en cancer éternifié. Il n’y a qu’une façon de revenir : comme cancer. Il n’y a qu’une manière de survivre : la métempsycose. Dont l’avatar est la tumeur. C’est peut-être la raison pour laquelle la maladie du siècle des revenants normalisés – notre siècle – est le cancer précisément. Les cancers. Les cancers comme 19e revenu parmi nous ? » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 267) 

« Dès que d’une manière quelconque la corruption intervient, une superstition aux aspects variés commence à prédominer, tandis que la croyance qu’un peuple professait dans son ensemble pâlit et devient impuissante : la superstition est en effet une libre pensée de second ordre – celui qui s’y livre choisit un certain nombre de formes et de formules qui lui conviennent et s’autorise ainsi du droit même de choisir. Comparé à l’homme religieux, le superstitieux est beaucoup plus “personnel”, et une société superstitieuse sera celle qui compte déjà beaucoup d’individus, et où se manifeste déjà le désir de l’individualité. » Friedrich Nietzsche (cité par Philippe Muray, in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 279)

« Le catholicisme n’est pas une maladie de croissance du christianisme éternel et naturel.
C’est le “christianisme” tel qu’on l’invoque contre le catholicisme qui est la tentation permanente de dissolution du catholicisme dont il propose la réhabilitation sociale par la Nature et la guérison par les plantes. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

 « Le protestantisme est l’affolement de la raison devant la folie catholique.
Le monde est donc plein d’idées protestantes raisonnables. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

« L’universel, c’est-à-dire le catholique, n’a rien à voir avec l’univers mais il le voit. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

« Le mot catholique a été choisi comme une provocation humoristique en prévision d’un univers où chacun allait se prendre pour l’universel incarné. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

« La prétention catholique à se présenter comme l’universel est l’équivalent par l’absurde de la déclaration d’élection de la religion juive. Toutes deux forcent l’adversaire à avouer sa volonté d’être le seul élu universel. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

« Ces mots, “Eglise catholique”, n’ont jamais signifié qu’une seule chose : inconcurrençable et inimitable. 
D’où le malaise dans notre civilisation de concurrence et d’imitation. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 284)

« L’occulte quand il arrive au pouvoir a immédiatement à faire face à un fantasme d’occulte qu’il doit violemment susciter pour maintenir son pouvoir magique. C’est-à-dire pour avoir l’air de la raison scientifique qui combat les chauves-souris du Mal. L’occulte devenu religion officielle sans jamais être appelé occulte se pare des apparences du rationalisme le plus dur et le moins soupçonnable, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a besoin du congélateur positiviste. C’est pourquoi également il se bat toujours publiquement contre des fantômes d’occulte en invitant les citoyens à participer à la chasse au vampire. C’est pourquoi aussi l’“occulte” qu’il persécute représente toujours l’inhibition sexuelle qu’il est lui-même. C’est pourquoi enfin il se dépense pour interdire toute vérité qui pourrait remonter du côté de la zone trouble des dégâts sexuels. C’est pourquoi plus généralement tout pouvoir occulte officiellement rationaliste lutte pied à pied pour conserver le sacré, tout le sacré et rien que le sacré. Aristocrates corrupteurs et corrompus en 93, hommes en noir au milieu du 19e, Juifs et maçons à la fin, Juifs comme jamais sous Hitler, Juifs sous Staline et blouses blanches et koulaks, banquiers cosmopolites sous tous les socialismes, système bourgeois aliénant pour tous les gauchismes, on pourrait allonger la litanie, c’est éternellement la même phobie. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 291-292)

« Une espèce de critique paradoxale a déjà essayé de travestir le monarchiste Balzac, l’homme du trône et de l’autel, en homme de subversion et de démolition. Nous sommes familiarisés avec ce genre de supercherie. » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 378)

« J’exprimerai patiemment toutes les raisons de mon dégoût du genre humain. Quand je serai absolument seul, je chercherai une religion (…) et au moment de la mort, j’abjurerai cette dernière religion pour bien montrer mon dégoût de la sottise universelle. Vous voyez que je n’ai pas changé. » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray, in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 380)

« Je vous donne au passage un tuyau pour déceler la prise ou la tentative de prise dixneuviémiste, c’est-à-dire occulto-socialiste, sur les sujets un peu en retrait, en exception par rapport à la masse. Dès que vous en rencontrez un qui est soupçonné d’impuissance – ou du moins d’intermittences dans ce domaine – méfiez-vous ! Dès qu’il faut absolument et unanimement qu’il ait été clignotant du sexe, incapable de se vaso-dilater à la commande, éperdu, souffrant parfois et parfois non, trop précoce ou trop tardif selon les coups, c’est qu’on veut absolument qu’il ait été fragile par un bout et qu’on n’a trouvé que ce bout-là, le sexuel. Friable, pas fiable… Pilote d’un engin peu sûr, irrégulier. Capable de ne pas démarrer à la commande. Ou alors de se retrouver dans le décor. De rater les virages dangereux par vice de forme. Enfin quoi, il faut bien que d’une façon ou d’une autre, quelque chose en lui ait été quand même l’esclave du flux de la vérité socialocculte infinie. Son ectoplasme convocable. Son revenant mesurable. Envoûtable. Mesmérisable. Impressionnable pour tout dire. Machine sans pilote. On vous le disait bien… Il n’a pas les moyens de son ambition. Il se laisse gouverner, influencer. Même pour les bagatelles. Les Furies le tiennent. Il n’est que leur embryon, somme toute et à jamais. On en revient toujours au même point. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 381)

« Nouveau cran dans la religion progressante de la mort. L’incinération. On aime tellement le cadavre qu’on tient à le préserver des vers… Voilà comment nous nous orientons vers quelque chose que nous connaissons bien puisque c’est la virginisation de la mort et que nous sommes en plein dedans aujourd’hui comme jamais aucune civilisation ne l’a été. » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 468)

« La torpeur moderne vient du respect illimité que l’homme a pour lui-même. Quand je dis respect, non, culte, fétichisme. Le rêve du socialisme, n’est-ce pas de pouvoir faire asseoir l’humanité, monstrueuse d’obésité, dans une niche toute peinte en jaune, comme les gares de chemin de fer, et qu’elle soit là à se dandiner sur ses couilles, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeuner, attendant son dîner, et faisant sous elle ? – Ah ! Je ne crèverai pas sans lui avoir craché à la figure de toute la force de mon gosier. » Gustave Flaubert (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 490)

« La femme me semble une chose impossible. Et plus je l’étudie, et moins je la comprends. Je m’en suis toujours écarté le plus que j’ai pu. C’est un abîme qui attire et qui me fait peur ! Je crois, du reste, qu’une des causes de la faiblesse morale du 19e siècle vient de sa poétisation exagérée. Aussi le dogme de l’Immaculée Conception me semble un coup de génie politique de la part de l’Eglise. Elle a formulé et annulé à son profit toutes les opérations féminines du temps. Il n’est pas un écrivain qui n’ait exalté la mère, l’épouse ou l’amante. La génération, endolorie, larmoie sur les genoux des femmes, comme un enfant malade. On n’a pas idée de la lâcheté des hommes envers elles ! » Gustave Flaubert (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 492)

« Ronronnement de la répétition maniaque des vivants croyant avoir un droit au savoir illimité et devenant de plus en plus massivement et visiblement ignorants au fur et à mesure que leur religion d’auto-légitimité s’accroît et prolifère dans tous les sens. Poussés vers cette impasse d’eux-mêmes où leur orgueil va imploser, où leur absence viscérale de complexes va triompher. Où ils vont s’imaginer de plus en plus autorisés à tripoter n’importe quoi comme si ça leur appartenait. Où Bouvard et Pécuchet ne vont plus être deux mais mille et des centaines de milliers et des millions à se contempler, à se regarder, à s’aimer, à donner leur opinion sur tout ce qui passe, à souffrir aussi comme jamais dans leur éternel retour de radotage par lequel ils deviennent irrésistiblement semblables les uns aux autres tout en imaginant qu’ils cultivent des différences, qu’ils gèrent eux-mêmes leur apparence et contrôlent souverainement leur propre source… Je n’ai pas besoin d’en dire plus, il suffit d’ouvrir sa radio, d’allumer sa télévision. Le “génie” multiforme et complexe des médias n’a pas mis très longtemps à comprendre que l’avenir c’était ça : donner la parole aux auditeurs, ouvrir les canaux au public, accueillir les avis, poncifs et clichés, se pencher dessus gravement, les enregistrer, les archiver, les discuter comme s’il s’agissait à chaque fois d’une nouvelle vision bouleversante du monde, faire en somme de plus en plus comme si nous n’étions pas tous dupliqués désormais ou comme si Bouvard n’était pas le clone exact de Pécuchet et celui-ci l’ombre parfaitement copiée de son reflet…
Bouvard et Pécuchet ou la mortification obsédée de tous dans la tragédie contemporaine des dédoublements. La dépression, la crise, la terreur actuelle sur tous les fronts, l’angoisse dans les têtes, les diverses peurs modernes, post-modernes, post-post-modernes, n’ont pas d’autre origine que ce syncrétisme invisible, spontanément et innocemment planétaire, né dans la soufflerie gigantesque du 19e et poussé jusqu’à nous, agrandi, répandu, diffusé, pulvérisé, en suspension dans notre air, persistant comme notre dernière croyance possible, la solution religieuse finale de l’ère de la fin… » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 492)

« Non seulement en notre naissance, mais encore pendant notre enfance, nous sommes comme des bêtes privées de raison, de discours et de jugement. » Saint François de Sales (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 553)

« L’enfance est la vie d’une bête. » Jacques Bénigne Bossuet (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 553)

« Je dois ajouter, au risque de jeter une ombre sur sa mémoire (celle d’Eugène Delacroix), au jugement des âmes élégiaques, qu’il ne montrait pas non plus de tendres faiblesses pour l’enfance. L’enfance n’apparaissait à son esprit que les mains barbouillées de confiture (ce qui salit la toile et le papier), ou battant le tambour (ce qui trouble la méditation), ou incendiaire et animalement dangereuse comme le singe.
“Je me souviens fort bien, disait-il parfois, que quand j’étais enfant, j’étais un monstre. La connaissance du devoir ne s’acquiert que très lentement, et ce n’est que par la douleur, le châtiment, et par l’exercice progressif de la raison que l’homme diminue peu à peu sa méchanceté naturelle.”
Ainsi, par le simple bon sens, il faisait un retour vers l’idée catholique. Car on peut dire que l’enfant, en général, est, relativement à l’homme, en général, beaucoup plus rapproché du péché originel. » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 554)

« (…) il (Baudelaire) vient de recevoir le dernier volume de Hugo agrémenté d’une dédicace : jungamus dextras… Il commente férocement : “Cela, je crois, ne veut pas dire seulement : donnons-nous une mutuelle poignée de main. Je connais les sous-entendus du latin de V. Hugo. Cela veut dire aussi : unissons nos mains, POUR SAUVER LE GENRE HUMAIN. Mais je me fous du genre humain, et il ne s’en est pas aperçu.” » Philippe Muray (in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 568)

« Mes chers frères, n'oubliez jamais, quand vous entendrez vanter le progrès des lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas. » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 651-652)

 « Vous me demandez des vers pour votre petit volume, des vers sur la nature, n’est-ce pas ? sur les bois, les grands chênes, la verdure, les insectes, – le soleil, sans doute ? Mais vous savez bien que je suis incapable de m’attendrir sur les végétaux… je ne croirai jamais que l’âme des Dieux habite les plantes, et, quand même elle y habiterait, je m’en soucierais médiocrement et considérerais la mienne comme d’un plus haut prix que celle des légumes sanctifiés… » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 658)

« Chier est une prière, à ce que disent les démocrates quand ils chient. » Charles Baudelaire (cité par Philippe Muray in Le XIXe siècle à travers les âges, p. 660)


Philippe Muray (1945-2006)

Francisco Goya, Le pèlerinage à l'ermitage de San Isidro, 1819-1823

2 commentaires:

  1. Je voudrais vous embrasser pour cette collection d'extraits. Je vais m'en servir, et fureter un peu plus avant dans votre blog. Figurez-vous que je le découvre aujourd'hui. Le net m'en réserve encore, faut-il croire, des surprises ! Merci.

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    1. Chère Millie,
      Je dois beaucoup à ce livre de Philippe Muray et c'est un plaisir pour moi que de partager certains passages saillants de mes lectures. Embrassons-nous donc en tout bien tout honneur. Je vous souhaite de puiser dans ce blog toute matière propre à vous nourrir spirituellement. J'ai voulu "Le Sémaphore" comme une forme - toute relative - non pas de "résistance" (le terme est devenu par trop galvaudé), mais surtout tel qu'un contre-poison face à l'abêtissement des consciences. Si ce blog a l'heur de servir à endiguer un tant soi peu la laideur généralisée, alors je n'aurais pas fait cela en vain. Soyez amicalement remerciée pour votre commentaire dont la gratitude m'honore et surtout me réconforte !
      Bien à vous,
      Thibault

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