dimanche 28 septembre 2014

Le coeur orageux




Le poète hongrois Sándor Petőfi connut une vie aussi courte que tumultueuse. Né en 1823, c’est en 1849 à l’âge de 26 ans seulement, que la camarde vint le faucher en plein combat contre les Russes. On peut dire, à la lecture de ces poèmes brûlants, que son existence tout entière fut pour ainsi dire marquée au fer rouge. Souvent empreints de stoïcisme, le calme ne règne pas pour autant dans ses vers et l’incendie qui couve en leur sein noir a tôt fait de tout dévorer de sa langue de feu. Le grand philosophe-poète Friedrich Nietzsche ne s’est d’ailleurs pas trompé dans son amour, puisque Petőfi imprima durablement en sa chair sensible les crocs de sa mordante ironie.

Une angoisse métaphysique parcourt le recueil Nuages, ainsi qu’un vol de corbeaux croassant dans le gouffre bleu du ciel. Chaque mot, chaque vers est une hache qui fend le bois mort des cœurs desséchés. La poésie de Petőfi est une volée de plomb : bien ancré dans la terre noire de sa Hongrie natale, il tire à vue sur tout ce qui le tourmente, la misère du réel, l’antédiluvienne barbarie de l’homme, le vide du ciel, l’amour fugace, l’amitié souvent déçue, la mesquinerie des sentiments, la fumée des rêves, le ronronnement des consciences endormies.
Dans ce cœur de jeune adulte grondait un orage qui ne s’est pas éteint : chaque lecteur peut encore en percevoir l’écho, le rauque roulis de pierres à travers les âges.

Voici à présent quelques courts poèmes aux accents de tonnerre, aux paraphes de foudre (le traducteur, Guillaume Métayer, s’est attaché à rendre autant que faire se peut la musicalité ainsi que l’éclat adamantins des poèmes de Petőfi) :

« Tes yeux sont, mignonne,
Sombres, oh tellement,
Pourtant ils rayonnent ;
Surtout quand
Tu les poses sur moi,
Alors ils chatoient
Comme au feu de l’éclair
De la nuit en colère,
Le glaive du bourreau ! »
(in Nuages, p. 52)

« Le chagrin ? Un vaste océan
Et la joie ?
Sa menue perle, qu’en remontant,
Il est possible que je broie. »
(in Nuages, p. 54)

« Je prenais mes amis dans mes bras…
Ils pressaient mon cœur contre leur cœur ;
Dans mon âme, quel n’était mon bonheur !
De ces embrassements, j’ai compris le pourquoi –
Ils me tâtaient, lorsqu’ils me prenaient dans leurs bras :
Où est le lieu le plus douloureux de ce sein ?
Pour avec leur poignard mieux y plonger la main…
Et ils y plongèrent la main. »
(in Nuages, p. 69)


© Thibault Marconnet

28/09/2014



Daguerréotype de Petőfi en 1847

1 commentaire:

  1. Charmant. J'avoue ne pas toujours être touché par la poésie, mais là, principalement les deux premiers, ces poèmes me touchent au coeur. Suffisamment explicites, rythmés, courts et directs, ils vont directement au but, c'est-à-dire en plein coeur.

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