jeudi 11 septembre 2014

L'étonnement

Ce qui m’étonne le plus dans la vie, c’est la vie même avec son fourmillement, c’est le secret ordonnancement du monde : cette architecture bariolée et hétéroclite, cette cathédrale baroque qui porte en son sein le chaos et l’ordre afin que tout soit.
Une clef de voûte soutient sans doute toutes ces choses entre elles dans un équilibre inconnu. Ce qui m’étonne, c’est que mon pain de ténèbres, mon pain noir et rassis mangé jusqu’ici dans l’amertume et le dégoût, ne m’ait pas étouffé. J’ai assez dorloté de vipères en mon sein, me suis gorgé de trop de poison et n’en veux plus boire une seule goutte.
C’est à vivre pleinement et de toutes mes forces que j’aspire désormais. Voilà aujourd’hui ce qui ne cesse de m’étonner : cette faculté de résurrection terrestre qui niche au plus intime de moi-même et me fait vivre encore malgré l’appel des sirènes de la destruction. Tel Ulysse, j’ai tenu bon. Je me suis cramponné à la vie comme le lierre au tronc de l’arbre. Et je n’en reviens pas moi-même. Il faudrait que je me tâte, que je me pince pour savoir si tout cela n’est pas que maigre fumée appelée à s’évanouir bientôt. Je ne le crois pas. J’ai rallumé un feu de vie en mon être. La farine des cendres n’a pas eu raison de mon levain et ma pâte lève dans le ventre rouge de ma foi en la vie, de la foi en ce que je suis.
Je prépare chaque jour mon propre pain de lumière : il me nourrit, me protège et me sauve de la froide nuit ; de la grande détresse à visage de pleureuse qui trop souvent a baisé ma bouche de son haleine sépulcrale. Quoi qu’il puisse m’arriver, on ne m’arrêtera pas. Aussi étonnant que cela soit, j’ai décidé de vivre.


© Thibault Marconnet

13/08/2014


Johannes Vermeer, Young Woman with a Water Pitcher, 1662-1665

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