samedi 18 octobre 2014

Michel Cloup Duo - Minuit dans tes bras [2014]





« Je suis rentré / je suis revenu / la nuit venait de baisser / son rideau de fer / sur des milliers de paupières / je suis rentré / je suis revenu / chez nous / dans notre vie commune / comme à mon habitude / je l’avoue / je t’ai trompée / avec ma solitude… » Michel Cloup nous revient, « ivre de fatigue / un peu perdu » et fermement décidé à exprimer tout ce qui bouillonne en lui, à déverser au sol toutes les gouttes de l’ancien poison qui restaient encore dans la fiasque. 

Notre Silence, son précédent opus était le témoignage d’une déchirure, de la brutale séparation d’un couple. Minuit Dans Tes Bras, par certains côtés, se veut une réconciliation, une étreinte nouvelle sur des draps dont les larmes peinent encore à sécher tout à fait. La guerre de tranchée s’est arrêtée pour un temps. Mais la trêve s’annonce parsemée de doutes et d’errances. Lucide, l’artiste oscille ici entre fièvre amoureuse et désespoir latent. La batterie de Patrice Cartier, son indispensable acolyte, semble une masse qui martèlerait l’enclume du silence. Quant au jeu de guitare de Michel Cloup, il se fait plus acéré que sur le précédent album, moins frileux et plus déchaîné en quelque sorte : il n’hésite pas à prendre des chemins de traverse pour mieux nous surprendre encore. C’est particulièrement flagrant avec Ma Vieille Cicatrice, où les sautes d’humeur ponctuent le morceau ainsi qu’une plaie à vif dont la douleur viendrait par moments électriser tout le corps et mettre les nerfs à rude épreuve. 

Et tant pis s’il faut tenter de « calmer le feu avec un incendie » : le remède vient parfois de la source même du mal. Nul doute que cet album devrait parler à beaucoup d’êtres sensibles. La nuit est une porte qui nous claque au nez. Alors on reste seul dehors, à étreindre la peau noire des ténèbres en priant le fantôme d’une femme de nous recueillir sur son sein ; en cherchant d’un regard apeuré quelque frère humain qui se serait échoué là, lui aussi, le corps lourd et boiteux, la gueule pleine d’échardes de bois. On reste seul dans le froid, à porter sa croix sous la morsure du vent, à « boire et tomber » sans même savoir si l’on pourra se relever... Mais peut-être qu’au petit matin, d’autres bras, d’autres mains viendront nous soutenir le long de notre calvaire, nous épauler, nous embrasser, nous aider à porter plus loin ce pauvre cœur fatigué, cette pendule au verre ébréché, au tic tac essoufflé. 

Un réverbère s’allume dans la grisaille : c’est la voix de Françoise Lebrun qui s’avance, grande sœur de charité. Sur leur album #3, Diabologum avait ciselé une musique puissante pour exhausser le poignant monologue du personnage qu’elle incarnait dans le film de Jean Eustache : La Maman et la Putain. La voici maintenant, en chair et en parole sur Minuit Dans Tes Bras #2 ; et de son timbre calme, elle nous invite à la méditation, à une paix retrouvée. 

Notre Silence était porteur d’un feu blanc et noir : c’est un album qui cherchait son équilibre, son yin et son yang jusqu’au jour où la coupe déborderait avec toute son amertume. Le vin de la souffrance a été bu jusqu’à plus soif. Et dès lors, Minuit Dans Tes Bras nous annonce la couleur : Michel Cloup va tout repeindre en rouge ; il a vidé le calice jusqu’à la lie comme pour reprendre des forces neuves et cracher du feu au visage pâle de sa peur. 

Nous Vieillirons Ensemble résonne ainsi qu’une nuit chaude où l’on se chuchote de maigres phrases d’amour bancal pour conjurer la détresse ; une nuit où l’on réapprend à lire sur les paumes de l’autre pour accepter enfin l’espace qui nous séparera toujours, quoi que l’on fasse. Le lit est là, qui attend les deux amants. Ils chuteront ensemble pour mieux s’oublier dans leur corps à corps, pour brûler aux flammes de l’amour renaissant leurs souvenirs douloureux. Un trou noir semble aspirer parfois Michel Cloup et c’est les yeux cernés qu’il relève la tête pour mieux s’enfoncer dans la vie, à corps perdu. Parce qu’il ne peut pas s’avouer vaincu. Parce que, comme le clamait Léo Ferré : « Les hommes debout ne se couchent que pour mourir. » Et basta !    

© Thibault Marconnet
le 15 mai 2014




1 commentaire:

  1. Jolie chronique, pour un disque qui m'a particulièrement marqué en ce début d'année. Je l'ai vu en concert sur cette tournée (alors que j'assiste à peu de concerts), ça doit jouer aussi dans le rapport que j'ai à cet album.

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