samedi 18 avril 2015

Artaud - La Tour Invisible [2007]



Il y a parfois dans l’existence des rencontres imprévues et que nous n’osions pas même espérer. Ce fut le cas pour moi par une belle journée de l’an 2007 lorsque, me promenant dans le rayon disque de la Fnac d’Annecy – qui à cette époque avait encore un minimum d’allure, bien que les téléviseurs, ordinateurs et autres joyeusetés technologiques commençaient sérieusement à tout envahir –, je tombais nez à nez devant une œuvre qui m’était alors totalement inconnue. 

D’abord, c’est par le nom de cet artiste que je fus frappé : Artaud. Peu de temps auparavant, j’avais lu avec beaucoup de fièvre Héliogabale ou l’Anarchiste couronné, œuvre d’un génial homonyme : Antonin Artaud. C’est donc sans trop savoir à quoi m’attendre que je poussai la porte de cette Tour Invisible à l’œil nu et que seuls les yeux de l’esprit peuvent entrevoir ; tour construite par un sacré maître d’œuvre dont j’ignorais encore qu’il s’appelait Vincent de son prénom. C’est un à un que je gravis les escaliers en colimaçon, pénétrant au cœur de cet escargot de pierre. Au sommet, se trouvait une vue imprenable et majestueuse sur un océan musical enivrant. Cet album me fit l’effet d’un maelström. Je fus happé dans son tourbillon marin et en bus l’eau jusqu’à être ivre de sel. Plongé dans l’œil de ce cyclone, ma tête était grisée par les alcools aquatiques. 

Dans cette œuvre, se trouvait réuni tout ce dont je rêvais : une musique sans frontières établies et n’hésitant pas à prendre des chemins de traverse qui poudroient dans une fabuleuse lumière. J’avais trouvé là le levain indispensable pour faire monter le pain de mon âme. Je ne pus m’empêcher de penser à Sibelius, Grieg, Debussy ou encore Ravel. Et puis, il faut dire qu’à cette même époque, j’inondais mes oreilles avec les déferlantes musicales de Charlie Mingus. Vincent Artaud étant lui aussi contrebassiste, je compris alors que ce disque m’attendait sans que je le sache. 

Tout premier morceau de cet opus, le si bien nommé Résurrection de Lazare, me fit l’effet d’une véritable renaissance auditive. Je me sentis errer en divers espaces-temps : cavaler à dos de nuage vers le Walhalla ; pêcher des truites cuivrées dans une rivière d’argent ; chauffer mon visage rougi devant un feu de bivouac au plein cœur d’une ancestrale forêt ; marcher sur une terre moussue le long des Lochs brumeux d’une Écosse fantasmée... Je me suis lavé tout le corps dans la terre, l’eau, l’air et le feu de cet album : j’ai ouvert mon cœur aux quatre points cardinaux, à l’irrésistible invitation au voyage que m’offrait Vincent Artaud. J’avais perdu tout sextant pour me guider dans ma navigation et, à dire vrai, il n’en était nul besoin. La traversée s’annonçait merveilleuse en tous points. 

Si je devais rapprocher cet opus d’une autre œuvre qui m’émeut au plus haut point, c’est incontestablement à l’album Europeana de Michael Gibbs with Joachim Kühn que je pense. Il y a là le même désir, la même quête de mélanger les genres dans une forge incandescente : pour se jouer de toutes les barrières, de toutes les guerres de clocher. « De la musique avant toute chose » aurait dit Verlaine. « Et pour cela préfère l’impair » : voilà une formule qui sonne au diapason avec la structure trinitaire de cet album placé sous les auspices d’un jazz repoussant toujours plus loin la crête enflammée de l’horizon.

© Thibault Marconnet
le 22 mai 2014





Tracklist :

01 - Résurrection De Lazare
02 - Émeutes
03 - El Gabar
04 - Five
05 - La Tour Invisible
06 - La Pensée Ne Me Lâchait Pas
07 - Mes Pleurs
08 - Le Songe De Macsen
09 - It’s Over
10 - Le Sortilège Impossible
11 - Guerre Et Paix
12 - Le Prophète

Vincent Artaud

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