jeudi 27 août 2015

La neige est sale : À propos du livre “Le Soleil est aveugle” de Curzio Malaparte



La découverte de Malaparte a été pour moi une révélation : il y aura désormais un avant et un après. L'écriture hautement poétique - “baroque” selon certains -, de l'écrivain toscan me transporte et me bouleverse. Il a des métaphores saisissantes que je n'ai lues chez aucun autre auteur. Le Soleil est aveugle est un petit livre dense et hallucinatoire, dans lequel Malaparte fait éclater la langue comme des obus fracasseraient la glace des hauts sommets aux teintes vertes. L'écrivain italien nous relate ici un épisode de la “drôle de guerre” dont il fut le témoin bien plus que l'acteur, relégué à l'arrière des combats en tant que correspondant de guerre : ce douloureux épisode a pour nom la “bataille des Alpes”, qui vit l’armée italienne attaquer la France et cela malgré la profonde et étroite amitié qui unissait les Alpins à leurs voisins Français. Cet homme qui, dès l'âge de 16 ans, était allé volontairement s'engager pour combattre auprès de la France lors de la guerre de 14-18 ne peut qu'être écœuré par une telle trahison qui mutile tout ce qu'il y a de plus noble dans la belle complicité qui lie deux peuples l’un à l’autre. De même que dans La Peau, Malaparte montre à quel point la victoire est parfois plus sale et déshonorante que la défaite, sale comme la neige souillée par le sang répandu. Voilà un ouvrage qui n'est pas sans rappeler le flamboyant et terrible Malraux du récit Les noyers de l'Altenburg.
Je suis ressorti de cette lecture comme d’une fièvre, l’esprit déboussolé par la bourrasque du verbe malapartien. Mais assez glosé, laissons désormais la parole à Malaparte lui-même :

« - Ce qui corrompt les hommes, ce qui les rend méchants, lâches, égoïstes, c'est la conscience de la mort. Les bêtes n'ont que l'instinct de conservation, peut-être un pressentiment lointain. Mais elles n'ont pas la conscience de la mort. Elles savent qu'elles peuvent mourir mais non qu'elles doivent mourir.
- Si elles apprenaient un jour qu'elles doivent mourir, dit Zanelli en penchant en avant son visage de braque, tu ne crois pas que les bêtes se révolteraient contre les hommes ?
Le Capitaine saisit Zanelli par un bras, le regarde avec une espèce de triomphe dans les yeux :
- Elles nous accuseraient de l'avoir inventée, la mort. Oui, nous. Est-ce que ce n'est pas nous peut-être qui l'avons inventée, la mort ? et il se met à rire, regardant fixement Zanelli avec une lueur de triomphe dans les yeux. » (in Le Soleil est aveugle, p. 128)





© Thibault Marconnet

le 18 août 2015

Curzio Malaparte

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